Yvan Arpa l'électron libre de l'horlogerie

Yvan ARPAUne rencontre inattendue : celle des mathématiques et de la création. Un personnage surprenant et provocant : Yvan ARPA. Une passion : l’horlogerie suisse. Cette petite équation a donné naissance à des modèles horlogers qui, aux premiers abords, sont à la fois novateurs mais aussi très étranges.
TendanceHorlogerie.com a cherché à cerner la personnalité, pour le moins très originale, de Monsieur Yvan ARPA, à travers ses modèles.

TH: Décrivez-nous votre parcours professionnel.
Yvan ARPA: Mon parcours professionnel est singulier. J’étais professeur de Mathématiques. C’était donc mon premier métier, un parcours magnifique mais aussi très rassurant puisque j’avais une réponse concrète à chaque question concrète.
Ensuite, j’ai eu envie de sortir de ce parcours. Je suis donc allé chez Sector à l’époque où on a lancé le concept « No limit », un concept très fort qui se traduisait par un marketing très intégré. En effet, on avait des athlètes qui étaient sous contrat, des points de vente, on possédait même des relations avec la presse qui étaient assez exceptionnelles.
C’était une époque assez extraordinaire. Mais le marketing était très dominant, et l’horlogerie, un petit peu moins…
Alors après cette aventure, j’ai été recruté par le groupe Richemont où là, on était beaucoup plus dans l’horlogerie, et c’est ce qui me manquait : cette notion du produit, alors qu’avant c’était basé beaucoup plus sur une notion de marketing dans laquelle j’ai mis presque 5 ans à me rendre compte que l’on ne fait rien soi-même. Finalement, nous étions 20 à faire la même chose. On croit avoir un avis, mais finalement, on n’en a pas vraiment, mais c’était bien, c’était très intéressant.
Puis, j’ai été chez Hublot où on a entrepris tout un travail pour préparer et faire le lancement de la Big Bang. Magnifique histoire également …Enfin, je suis parti chez Romain Jerome où là, la marque était sévèrement sinistrée.

TH: Quelle expérience avez-vous tirez du passage chez Romain Jerome ?
Yvan ARPA: La marque était sévèrement sinistrée. Il fallait faire vite. J’ai fais une analyse des marchés : concrètement, qu’est-ce qui fonctionne ? Qu’est-ce que c’est l’horlogerie suisse aujourd’hui ?
Aujourd’hui, l’horlogerie suisse c’est plus de 600 marques.
Bien sûr, c’est mon analyse, je n’ai pas du tout la prétention de dire qu’elle est juste, c’est ma perception.
Donc c’est plus de 600 marques ici en Suisse. Parmi elles, certaines sont très actives. Les icônes de l’horlogerie capitalisent sur leur savoir-faire, c’est-à-dire sur la notion de tradition, la notion de « suiss-made », ce qui est moins le cas des nouveaux arrivants qui travaillent plus sur les nouvelles matières telles que la céramique, sans jamais renier le passé horloger très fort qui donne justement cette singularité, cette unicité à la Suisse.
Donc, j’étais là, pour une marque qui au départ était mal partie avec un concept qui fonctionnait mal, à me demander ce que je pouvais faire.
Je n’avais pas d’histoire en tant que telle, je suis donc allé vers l’histoire de l’humanité avec un postulat de départ : les gens achète une montre pour lire l’heure, mais ils achètent aussi une montre comme un trophée.
Lorsque l’on a une Rolex, on veut montrer qu’on a réussi quelque chose, on est dans le monde des valeurs du sport. Lorsque l’on a une Patek, on a compris les traditions et on veut se rapprocher de valeurs un peu plus raffinées, les valeurs de l’horlogerie et de ses mouvements.
Une fois, chez un ami collectionneur, je me suis dis : « tiens, il y a des œuvres d’art assez hallucinantes », il y avait même des trophées. Le morceau du « Mur de Berlin » était plus mis en évidence que certaines œuvres d’art. Je me suis donc dis que « le trophée de l’Histoire c’est quand même très fort, et en avoir un au poignet, ça n’a jamais été fait ».
Puis face à mon postulat de départ, il fallait une ligne directrice…
Évidemment, il y a plusieurs possibilités mais je savais qu’il fallait se restreindre. J’allais donc appliqué un raisonnement mathématique.
J’ai donc posé des hypothèses de travail qui sont les suivantes :

  1. le matériau utilisé doit avoir une notoriété spontanée et solide ;
  2. ce matériau doit être absolument inaccessible ce qui donne la valeur à la marque puisqu’impossible à avoir ;
  3. le matériaudoit avoir une source extrêmement luxueuse.

Et voilà !
Le quatrième postulat c’était : « je vais profiter de cette nouvelle matière, mais en faisant de l’anti-traite, je ne vais pas prendre justement toutes les nouvelles matières technologiques », j’ai donc pris l’antimatière horlogère par excellence: la rouille.

Artya Coprolithe
Artya Coprolithe

TH: Une montre, c’est un trophée. Quel est votre rapport aux montres ? Est-ce un objet sacré ou au contraire, à travers vos créations, un objet démystifié ?
Yvan ARPA: Une montre est un trophée, c’était mon postulat de départ.
À partir de ce constat, j’ai concrétisé ma démarche et ça a marché d’une manière tellement hallucinante. Et puis, ce sont des modèles qui me correspondent tellement, je suis à l’aise dans ce créneau.
Effectivement, il y a un peu de provocation, mais il y a surtout une réflexion sur ce qu’est l’horlogerie et où elle peut mener, sans arrogance.
Prenons l’industrie des chapeaux, il y a deux générations, votre arrière grand-père ne sortait pas dans la rue sans avoir de chapeau. Aujourd’hui, plus personne ne porte de chapeau, sauf les originaux.
Et bien qui me dit que dans deux générations les gens porteront encore des montres ? Loin de moi l’idée de savoir ce qu’il se passera dans deux générations mais personne ne peut invalider cette hypothèse de travail.
Je donne des cours d’universités ici à Genève, et il faut savoir qu’il y a 5 ans, sur 500 étudiants de moins de 24 ans qui ont un bon niveau socioculturel, il y avait 27% d’entre eux qui ne portaient pas de montre. Aujourd’hui, ils sont 75 %. C’est assez représentatif. Ce sont quand même des signes très forts. Je ne dis pas que j’ai raison mais qu’il faut au moins ouvrir les yeux là-dessus.
Donc ma réflexion est de me dire que ce que je dois faire, c’est des garde-temps qui bien sûr respectent les fondamentaux de l’horlogerie, tout en leur apportant une valeur émotionnelle. Je ne veux pas travailler sur les fondamentaux, il y a des gens qui savent faire ça beaucoup mieux que moi, c’est leur métier. Je vais juste ajouter une valeur émotionnelle sur leur travail, avec des moyens très limités puisque je n’ai pas de groupes ou de grandes ressources financières qui assurent mes arrières. C’est donc par ces moyens très limités qu’il y a de la provocation puisqu’on parle de moi, on parle de ce que je fais.
Mes trophées correspondent à ma personnalité.
Ils satisfont à une possibilité d’avoir une notoriété spontanée, extraordinaire et très rapide.

TH: Selon vous, quel est le public qui est le plus sensible à vos créations ?
Yvan ARPA: Je pense que le public le plus sensible est celui qui a leurs traits de caractère, celui qui se différencie, celui qui ne se reconnaît plus dans la montre de Papa, voir Grand-papa, qui a envie de porter d’autres valeurs que celles qui sont offertes aujourd’hui dans la tradition horlogère suisse. Tradition horlogère suisse que je ne renie pas, que j’adore, et si je peux faire ça, c’est bien parce qu’elle existe.
Il y a donc beaucoup de personnes susceptibles d’être sensibles à mes créations, mêmes les jeunes adorent parce qu’elles sont différentes, provocantes.
Aujourd’hui, si vous regardez les vitrines des détaillants, c’est magnifique : les gens hallucinent ! Ils se demandent : « C’est quoi ça ? Qu’est-ce qui se passe ? »
C’est la foudre.
Il y a toute une logique. Il y a du deuxième degré. Il y a du conceptuel. On peut le prendre au premier degré ou on peut le prendre au cinquième degré.
La foudre, c’est la naissance de la vie sur Terre, c’est un arc électrique qui a fais qu’il y a eu la vie sur terre.
Il y a beaucoup de choses à raconter au niveau philosophique aussi…

TH: Parlez-nous justement un peu du modèle en Coprolithe. Beaucoup de personnes l’ont perçut comme une provocation.

Artya the Tesla Skeleton Tourbillon
Artya the Tesla Skeleton Tourbillon

Yvan ARPA: Bien sûr, c’en est une.
C’en est une parce que ça permet de communiquer et de jouer tout de même sur les fondamentaux. On fait les choses sérieusement, mais il ne faut pas se prendre trop au sérieux. Dans l’horlogerie, on est très calviniste et beaucoup de gens se prennent très au sérieux. Ce n’est pas mon cas.
Puis, il faut dire que c’est une matière qui est assez magnifique, et qui en plus est une antimatière par excellence: au lieu d’utiliser des matières comme la rouille ou la poussière, je vais ici un peu plus loin.
Quelle nouvelle marque peut rêver d’être, avant son lancement, dans le Financial Times, le New York Times, le China Daily, Yahoo, Msn et j’en passe ? On a eu des millions de retombées, des centaines de milliers de clics sur le site de la marque.
Donc oui, c’est clair, c’est de la provocation parce que je n’ai pas eu le budget pour faire une campagne classique et que je ne veux pas faire une campagne classique.
En plus, ce n’est pas inintéressant d’avoir des détournements d’objets.

TH : Avez-vous des projets ? Des nouveautés à venir ?
Yvan ARPA: Oui, bien sûr, ce n’est pas ce qui manque. J’ai des tiroirs pleins de projets. Là, j’en ai assez pour plus qu’une vie. Après, il faut les financer, il faut les faire vivre, et la difficulté, c’est de ne pas aller trop vite, et de laisser le temps faire, de laisser au marché la capacité d’absorber la nouveauté.

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